27/01/2016
Mais si, l'Eglise peut (et doit) parler d'économie !
...contrairement à ce qui se dit à Paris ces temps-ci :
Un ami me dit hier soir (il sortait d'un déjeuner d'affaires) : « Il y avait là un catho notoire. La conversation est venue sur ''ton pape et son encyclique socialo''... Le catho, gêné, a commencé par biaiser. Les autres ne le lâchaient pas. Il a fini par dire entre ses dents : ''Le pape François parle de ce qu'il ne connaît pas. L'Eglise ferait mieux de laisser l'économie aux économistes.'' »
Ceci inspire deux réflexions.
1. « Laisser l'économie aux économistes » a quelque chose d'angoissant quand on sait ce que 2016 nous prépare (dans le genre crise systémique pire que 2008). Depuis huit ans, ces soi-disant spécialistes ont mis leur énergie à servir les intérêts des banquiers ; lesquels ont déployé leur influence – énorme – pour dissuader les politiques de réformer le système financier quand il en était temps*. Aujourd'hui l'absence de réformes a créé les conditions d'une explosion plus grave encore, contre laquelle (cette fois) les Etats ruinés ne pourront rien. Lorsque les comptes en banque se seront volatilisés, les braves citoyens de droite comprendront peut-être ce que valait la compétence des économistes.
2. Prétendre que le pape François ne connaît pas l'économie montre qu'on ne l'a pas lu ! Par exemple l'exhortation apostolique Evangelii Gaudium... Je recommande la lecture de son paragraphe 54 qui carbonise le dogme du « trickle-down » (clé de voûte de l'idéologie économique libérale) et qui met en doute, non seulement « les mécanismes sacralisés du système économique dominant », mais « la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique ».
3. De la part d'un catholique, affirmer que l'Eglise « ne devrait pas s'occuper d'économie » est non seulement inexact mais hétérodoxe. L'économique et le social tiennent plus de place que la bioéthique dans le Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise... L'Eglise peut et doit exprimer son point de vue sur l'économie comme sur tous les aspects de la condition humaine**, et il y a des raisons profondes à cela : comme l'expliquait le P. François Daguet o.p. (lors du colloque de Toulouse sur Laudato Si'), l'agir humain est la matière de la réflexion sociale de l'Eglise ; cet agir a des répercussions dans tous les domaines ; l'Eglise est donc tenue d'intervenir dans ces domaines (dont l'économie) qui ne la concernent pas a priori. On redécouvre ainsi, par la voie empirique, « que la théologie met au jour l'unité entre toutes les facettes de l'agir humain... »
Faut-il en conclure que ceux qui prétendent le contraire sont en contradiction avec le catholicisme ? Objectivement oui.
En sont-ils conscients ? Non, pour la plupart***. Persuadés que la compétence de l'Eglise se limite à la morale des familles, ils sont sincèrement choqués de voir le pape intervenir en économie.
Cela prouve :
a) qu'ils connaissent mal leur chère religion ;
b) qu'ils se font une idée fausse de l'économie ! Idolâtres de la Croissance-à-tout-prix, persuadés que l'économie trône hors des contingences humaines et du monde de la nature, ils sont rivés à une théorie mécanique qui place l'économie au-dessus de l'histoire, au-dessus des sociétés et au-dessus de la création. Ils ne voient pas que leur système dissipe les ressources de la planète et « diminue irrévocablement la dot de l'espèce humaine » (Georgescu-Roegen). Quand on le leur montre, ils esquivent : ils disent que le « progrès technologique résoudra tout » et que « le capital technique prendra le relais du capital naturel », comme si les technosciences pouvaient créer de la matière. C'est une pétition de principe de leur part. Elle est réfutée par le pape dans Laudato Si', où il souligne que la fuite en avant technologique ne fait que créer de nouveaux problèmes (inédits et imprévisibles) – et que la véritable solution demande « une révolution culturelle courageuse ». Autrement dit, changer de mode de vie...
Mais oui : l'Eglise peut et doit parler d'économie ! Soyons prêts à porter la contradiction (le plus clairement et le plus courtoisement du monde) à ceux qui prétendent le contraire : les avocats d'un mini-catholicisme amputé de sa dimension sociale.
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* Et pour empêcher les autorités morales de faire pression sur les politiques : cf le banquier Gotti-Tedeschi (éphémère président de l'IOR) se déchaînant contre le cardinal Turkson, parce que celui-ci avait osé demander une réforme du système financier mondial après 2008...
** Au contraire, l'ultralibéralisme pousse à croire que l'économie surplombe la condition humaine. Dans sa logique l'homme n'a de valeur que s'il satisfait aux exigences de l'économie.
*** Ne parlons pas de ceux qui se posent en experts de la doctrine sociale... mais la zappent quand elle les dérange. (Ceux-là savent ce qu'ils font).
00:14 Publié dans Economie- financegestion, Pape François | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : pape françois, catholiques
Commentaires
DES U.S.A. ?
> La revolution anti-libérale est en marche ... Elle va venir des ... Etats-Unis. Comme toutes les révoltes populaires, je crains que ça ne soit pas joli. Mais c'est fascinant à observer. http://www.theamericanconservative.com/dreher/revolution-republican-trump-cruz-gop-conservative/
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Écrit par : Luc2 / | 26/01/2016
SE CONCENTRER SUR LE SOCIO-ÉCONOMIQUE
> Parfaitement d'accord, sur tout. Excellente synthèse de ce qu'il faut répondre sur ce sujet.
Non seulement l'Eglise doit parler sur les grands sujets économiques et sociaux mais j'irais même plus loin : si par les temps qui courent Rome pouvait se concentrer le plus possible sur ce domaine, cela éviterait peut-être des bourdes dans d'autres (genre la réforme abrupte - exit la collégialité - du rite du lavement des pieds de la liturgie du Jeudi Saint : l'admission des femmes est une bêtise et je peux expliquer pourquoi à ceux qui en douteraient). Vive Laudato Si et le discours de Santa Cruz, mais, de grâce, laissez le missel tel qu'il est. Merci.
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Écrit par : Thomas Mousset / | 27/01/2016
TOUJURS
> L'Eglise s'est toujours occupée d'économie, parce qu'elle s'est toujours occupée de morale, parce qu'elle s'est toujours occupée des êtres humains et de leur salut. Saint Ambroise, évêque de Milan de 374 à sa mort en 397, issu de l'aristocratie sénatoriale et connaissant parfaitement les habitudes économiques de son milieu d'origine, dénonçait - en les analysant avec précision - les spéculations sur le prix du blé (voir son traité sur "Les devoirs" ["De officiis"], livre III, chapitre 6). Un exemple parmi tant d'autres.
Cette manière "libérale" de placer l'économie en "surplomb" de tout, ce n'est rien d'autre qu'une forme de superstition. Le christianisme, religion qui valorise la raison dans toutes ses dimensions, et qui unit la connaissance rigoureuse du réel avec l'impératif moral, irritera toujours les superstitieux.
JMS
[ PP à JMS - L'idée que l'économie est "séparée de" et "supérieure à" tout ce qui n'est pas elle (morale, environnement, société etc) date des Lumières et de la révolution industrielle libérale du XIXe siècle. D'où notamment l'amoralisme libéral, de Mandeville à Hayek... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 27/01/2016
DÉJÀ VU ?
> «Le pape parle de ce qu'il ne connait pas»
Il me semble que ce genre de commentaire revient régulièrement après bon nombre d'encycliques. Exemple qui me vient en tête: Paul VI et 'Humanae Vitae'.
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Écrit par : olivier / | 27/01/2016
UNITÉ DE VIE
> L’Eglise parle d’économie et se doit de le faire. Et ceci pour une raison très simple : on m’a appris dans mon jeune temps ce qu’est l’unité de vie. Le Christ est venu sauver l’homme, et tout l’homme. Par son Incarnation, il n’est rien d’humain qui n’intéresse Jésus-Christ. Il a voulu tout connaître de notre vie, excepté le péché. Tout ce qui concerne l’homme, le concerne au premier chef. Il s’intéresse à tout, tout ce qui fait notre vie, dans ses moindres recoins. Absolument tout, de notre lever à notre coucher, et même la nuit.
Qu’il s’agisse de notre travail, de notre nourriture, de nos vêtements, de nos amis, de notre famille, de nos collègues, de ceux que nous croisons dans les transports en commun, de nos activités les plus diverses et imaginables, si nous faisons du sport ou regardons la télé, de ce que nous achetons, de notre relation à la caissière du supermarché, de notre santé, de note logement,…tout, tout, tout, absolument tout ce qui nous concerne sans aucune exception, absolument tous les recoins de notre vie, dans ses moindres détails, même ceux qui nous paraîtraient les plus insignifiants. Et également tout ce qui concerne, tous les hommes et toutes les femmes qu’il crée.
Dieu n’est pas indifférent à sa création. Elle le passionne, et plus particulièrement l’homme, et ce au plus haut point.
Comment alors croire et raconter que lorsque je suis au travail, que j’ai des activités liées à l’économie cela ne le concerne pas ? Comment oser prétendre que cela ne concerne pas l’Eglise, qui est le Corps Mystique de Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, venu dans le monde pour sauver tous les hommes et tout l’homme dans toutes ses dimensions, ainsi que sa Création, dont il vit après l’avoir créée que cela était très bon ? (Si on doute que l’Eglise est le Corps du Christ alors pourquoi Jésus dit-il à Paul, lors de sa conversion « pourquoi me persécutes tu ?» , alors qu’Il ne l’a jamais rencontré ? Saul n’a jamais fait que persécuter des chrétiens, jamais Jésus, qu’il n’a jamais rencontré en chair et en os. L’Eglise et Jésus, c’est tout un). L’Eglise est « experte en humanité » et non pas « experte en humanité sauf dans le domaine économique ». Dire cela, c’est faire de l’Eglise une menteuse.
Cette volonté de cloisonner, sa vie, n’est qu’une seule chose : c’est l’essence du péché, du refus du salut. Comme si dans nos vies, certains domaines pouvaient échapper au regard de Dieu. Quand je suis derrière mon tableur Excel, Jésus n’a rien à dire, je fais ce que je veux, ce que j’ai envie. Il n’y a pas là grande différence avec ceux qui défendent une laïcité de combat, qui prétend qu’on peut agir comme chrétien parfois et comme citoyen neutre à d’autres moments, quitte à aller contre sa foi, à pécher. Comme si l’on pouvait diviser l’homme. Et si laïcité, il doit y avoir, même elle intéresse Jésus au plus haut point (comment nous respectons nous mutuellement, etc…)
Faire croire que l’Eglise ne doit pas se soucier d’économie ne vaut pas plus cher que de faire croire que l’Eglise ne doit pas rentrer dans la chambre à coucher. La sexualité concerne Jésus. La neutralité dans certains lieux publics aussi. Et l’économie aussi. Si l’Eglise est « experte en humanité sauf dans le domaine économique » cela veut dire qu’il y a un autre magistère : celui des économistes. Dieu ou l’argent, il faut choisir. Les économistes, qu’on se le dise, enseignent, pour la plupart d’entre eux aujourd’hui, des doctrines qui reposent sur des fondements philosophiques contestables et contestés par l’Eglise. Aucun doute n’est permis sur cette question. Je crois à l’Eglise, une Sainte, Catholique et Apostolique et à ce qu’elle enseigne. Je ne crois pas à Adam Smith, ni à Friedrich Hayek. Ceux-là tiennent des doctrines opposées à celle de l’Eglise. L’égoïsme, l’individualisme, la cupidité, etc… sont des péchés. Ni plus ni moins. N’importe quel catéchiste a plus de compétence et d’autorité dans cette manière que le plus diplômé des économistes, fut-il Prix Nobel. Quand on fait profession d’enseigner la licence, on s’oppose à l’Eglise, on s’oppose à Jésus-Christ.
Tout ce qui existe concerne Jésus. Rien ne lui est étranger de ce qui fait la vie de l’homme. Sans cela, on est dans le refus du salut, le refus de la Rédemption, au moins pour certains domaines de notre vie. Peut-on n’accepter que partiellement le Salut ? Je suis sûr que non. Pensez-y la prochaine fois que vous irez au confessionnal.
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Écrit par : ND / | 27/01/2016
FINANCE ET ÉCONOMIE
> Pour moi l'économie est un ensemble de sciences (démographie, finances, etc). Or l'on a tendance aujourd'hui à confondre l'économie et la finance. Ce ne sont pas les économistes qui ont créé la situation dans laquelle nous nous trouvons mais uniquement les financiers. Ce qui est inquiétant c'est de laisser l'économie aux financiers.
A. Libert
[ PP à A. Libert - La dérégulation ultralibérale des années 1990 a eu pour conséquence la "financiarisation" : le transfert du pouvoir à la sphère financière, qui s'est assujettie l'économie réelle. D'où la situation présente...
Peu d'économistes critiquent cette situation, bien qu'elle soit une menace gravissime pour les peuples. ]
réponse au commentaire
Écrit par : A. Libert / | 27/01/2016
CROISSANCE?
> la croissance, quelle croissance ? Qu'est-ce ce mot cache ?
J'aimerai qu'on m'explique le mécanisme qui permet une croissance, dans un monde limité où rien ne se crée, mais où tout se transforme.
Les seuls véritables sauts de croissance de l'histoire de l'humanité sont ceux où une découverte a permis un saut énergétique (d'économiser de la force). Le dernier en date est le pétrole au début du 20ème siècle, le précédent était la machine à vapeur. Mais on commence à voir que celui-ci avait des effets secondaires, en particulier le réchauffement climatique.
Depuis 1971 les monnaies se sont dématérialisées (fin de la référence à l'étalon or) ouvrant la voie à toutes les tentatives plus ou moins réussies de masquages de dérèglement économiques. Depuis 1973 le monde économique va de crise vers de pseudo reprises puis re-crises.
Quand on veut enfumer les populations ont tord le sens des mots, on crée des acronymes qui masquent et/ou déforment les choses. Le champion d'entre eux est peut-être bien la crise : une crise sémantiquement est un phénomène passager de durée limitée. Voila 30 à 40 ans que l'ont est un "crise". A ce stade tout linguiste moyen sait qu'il ne peut plus s'agir plus crise mais de faillite d'un système. Soit les tenants de notre économie mondialisée s'assoient (volontairement ou sous la pression du "public") pour repenser un nouveau système, soit de soubresauts en soubresauts nous sombreront.
Peut-être pourrait-on entrevoir comme nouveau saut énergétique le robot, mais celui-ci à un grave défaut : il finit par éjecter l'homme du système, or le système a besoin d'homme en tant que consommateur. Aussi la dernière illusion en date est l'invention d'un système basé sur le crédit, c'est à dire en réalité sur l'endettement. Mais ce système est sans issue, il nécessite toujours plus d'endettement pour continuer à avancer. Pour masquer cela les banques centrales créent toujours plus de monnaie (les QE / Quantitave Easing) à tour de bras; mais le seul effet est de découpler la bourse de l'économie réelle. Tant que gros acceptent tous de faire comme si, tout va bien. Mais qu'aucune allumette ne s'approche trop prés de ces bulles qui enfument nos économies.
Actuellement un 1% de la planète (voire moins) berne le reste du monde : quelques politiques, tels des marionnette dont les 1% tiennent les fils s'agitent pour donner l'illusion d'un débat (de partage du pouvoir ou du moins de délégation) essayant de mener le public (le reste de la population) sur un chemin sans issue malgré lui.
Comment en est-on arriver là ? parce que notre système actuel a placé le profit au centre (au lieu faire de l'argent un serviteur, en a fait un maître), refusant le bien commun au profit d'un intérêt général qui de "sacrifice" en sacrifice fait que le "général" quantitativement ne cesse de décroître.
Toute solution qui ne replace pas l'homme (et son milieu) au centre ne sera qu'un leurre.
C'est le message du Christ qui n'a eu de cesse d'aller vers les plus faibles afin de les remettre debout et de les envoyer dans la bonne direction, c'est ce que nous redit l'église, notre pape. Ce faisant, ils s'opposent aux puissants.
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Écrit par : franz / | 28/01/2016
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